Avec Rose Trombone, L’Orchestre Parfum joue la rose en accord majeur
Fin 2017, aux premières heures de la marque, le fondateur Pierre Guguen dévoilait une série de cinq fragrances. Parmi celles-ci, Rose Trombone, signée Anne-Sophie Behaghel (Studio Flair), une partition florale et aldéhydée tout droit sortie d’un club de jazz à Harlem. L’occasion de lever le voile sur les spécificités de la Reine des Fleurs en parfumerie.
Anne-Sophie Behaghel décrit Rose Trombone comme un parfum “sensuel, propre, gourmand [...] Un trompe-l'œil floral aldhéhydé irrésistible et addictif”. Pour restituer l’idée d’un solo de trombone torride, la puissance des cuivres propre au jazz, la parfumeuse joue de l’oxyde de rose et des aldéhydes, pour ciseler une rose aux accents métalliques.
Porté par ces deux notes de synthèse, le parfum se révèle dès les premières notes opulent, avec cette sensation de coffre qu’on prête volontiers aux voix des chanteuses de jazz. Une touche de poire adoucit l’effet métallique, annonçant une facette gourmande, que prolonge en fond la vanille. Avec de la texture et du volume, la rose se déploie pleinement en cœur, avant d’épouser un fond boisé, teinté de santal et d’ambroxan, qui propulse le sillage. L’absolu de rhum, mêlée au pamplemousse et à l’ananas dans un effet cocktail, affirme la puissance du parfum, avec un clin d'œil à l’ambiance festive d’un club de jazz.
Au cœur de cette fragrance, la reine des fleurs, un incontournable de la parfumerie fine. Une fleur bien connue de tous, dont on compte environ 700 variétés ornementales. Pourtant les parfumeurs n’en utilisent que deux: la rose Centifolia et la rose Damascena. La première, ronde, verte et miellée, est une icône de Grasse. La Rose de Damas, plus fusante, fruitée et épicée, est originaire de Perse mais se cultive aujourd’hui au Maroc, en Turquie et en Bulgarie.
La rose Centifolia, que l’on nomme également Rose de Mai parce qu’on la récolte aux beaux jours, est célèbre dans le monde entier grâce au N°5 de Chanel. Un fleuron du berceau grassois, qui en produisait près de 2000 tonnes durant la première moitié du XXème siècle. Une activité prospère qui a décliné avec l’émergence de molécules de synthèse et d’ingrédients importés de l’étranger au prix plus accessible. Les acheteurs allaient parfois jusqu’à “couper” les matières naturelles, pour faire des économies. En difficulté, de nombreux agriculteurs ont délaissé leurs terres dans les années 90, alors envahies par la poussée de l’immobilier. Une dizaine d’années plus tard, la culture de roses y retrouve un nouveau souffle, grâce à la volonté de Carole Biancalana, fondatrice de l’Association des Fleurs d’Exception du Pays de Grasse.
Il suffit d’approcher les champs de Grasse à l’aube pour humer la senteur verte, ronde et miellée de la rose Centifolia. La cueillette commence tôt le matin et s’achève avant midi, pour éviter que la chaleur n’altère l’odeur des fleurs. Savoir-faire régional, la récolte est un travail manuel, qui se fait d’un geste ferme et délicat de la main, pour ne pas abîmer les pétales. De début mai à début juin, des sacs en toile de jute, remplis de fleurs, sont acheminés chaque jour jusqu’aux usines, pour l’extraction aux solvants. Les fleurs sont déversées dans des cuves remplies d’hexane, d’éthanol ou de CO2 supercritique, pour obtenir une concrète. Une pâte cireuse et odorante, lavée dans une solution hydroalcoolique, puis filtrée pour obtenir l’absolu de rose Centifolia. Il faut récolter environ 750 kilos de pétales de rose pour obtenir un kilo d’absolue, dont le prix coûte près de 10000 euros.
La rose de Grasse étant rare et coûteuse, on privilégie aujourd’hui souvent la rose Damascena. Si elle puise ses origines dans les Croisades, elle est aujourd’hui cultivée au Maroc, en Turquie et en Bulgarie. On peut recourir à l’extraction aux solvants volatils, mais aussi à la distillation, qui repose sur la capacité de la vapeur d’eau à s’imprégner des actifs odorants d’une plante, pour obtenir une huile essentielle de rose de Damas au parfum épicé, citronné et fruité, aux accents litchi. Une fois n’est pas coutume, cette dernière est plus coûteuse car il faut distiller environ 3 à 5 tonnes de pétales de rose pour produire un kilo d’huile essentielle, là où on obtient 6 fois plus d’absolu avec la même quantité de fleurs.
De par ses nuances variées - sa composition organique compte près de 300 molécules - la rose offre un vaste terrain de jeu aux parfumeurs. Tour à tour fraîche ou charnelle, elle se renouvelle sans cesse. Suivant les matières qu’elle côtoie, la rose révèle ainsi différentes facettes. Mêlée aux aldéhydes, elle se fait propre, poudrée, à l’image de Rose Trombone. Avec ses nuances de litchi et de framboise, elle épouse facilement les notes fruitées. Elle se prête parfaitement aux accords boisés ou chyprés, dans un registre plus sombre et envoûtant. Proche du géranium, elle se marie aussi très bien aux tonalités vertes et herbacées, dans un style naturaliste. Mêlée à l’iris et la violette, elle permet, enfin, de ciseler des effets lipstick, au charme délicieusement rétro.
Une fleur aux mille visages qui n’a pas fini de nous surprendre. Pour Rose Trombone, Anne-Sophie Behaghel a choisi un alcoolat de Rose Damascena sourcé chez Behave. Une rose qui se révèle ici multiple, ses facettes “propres”, poudrées, dialoguant avec une dimension moderne, boisée et sensuelle.
Article rédigé par Sophie Normand pour l'Orchestre Parfum